Les atouts de la filière chanvre dans la Réserve de biosphère de Fontainebleau et du Gâtinais : des champs aux bâtiments pour des pratiques éco-responsables
Le chanvre a longtemps été une culture populaire de nos campagnes. A la fin du XIXe siècle, avec le début de la mécanisation de l’agriculture, il s’est avéré plus difficile à récolter que d’autres plantes et a alors progressivement décliné. Ses propriétés psychotropes ont conduit ensuite à son interdiction en 1930. Particulièrement réglementée, sa culture a repris en 1970. En 2006, le chanvre revient sur le territoire de la Réserve de Biosphère dans un but de d’innovation et de diversification des cultures avant que toute une filière éco-responsable ne se développe sur le territoire, notamment dans le domaine du bâtiment avec l’utilisation du béton de chanvre pour l’isolation. L’agronome Philippe Viaux, l’experte du Parc Naturel Régional du Gâtinais Français (PNRGF) Cathy Bos et le premier adjoint au maire de Perthes-en-Gâtinais, Pascal Magnier, nous éclairent sur quelques atouts de cette filière.
Le point de vue de l’agronome, Philippe Viaux, membre du conseil scientifique de la Réserve de biosphère et membre de l’Académie d’Agriculture de France
« Le chanvre, ce n’est pas une culture facile » rappelle Philippe Viaux. Le chanvre est semé tard, en avril/mai quand le sol est réchauffé, pour être récolté en septembre/octobre (on parle de cycle court comme celui pour le maïs). Il faut donc trouver une culture intermédiaire, qui couvrira le sol entre la récolte du précédent cultural et le semi, qui soit adaptée au chanvre, ce qui n’est pas le cas de la moutarde par exemple. Ensuite, sa récolte est coûteuse, le déchaumage est difficile, en raison des fibres de ses racines. Comme le dit l’agronome, « Détruire son système racinaire n’est pas si simple », l’usage classique des outils rotatifs étant impossible.
C’est donc une culture qui n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire mais elle a de nombreux avantages. Philippe Viaux évoque notamment un usage réduit des pesticides parce que « cultiver le chanvre rompt le cycle des maladies et des bioagresseurs ». « Les adventices sont désherbées naturellement » puisque le chanvre a un grand développement et couvre les sols. Cette plante favorise l’activité biologique, par exemple, en accueillant de nombreux arthropodes. Autre point positif, les besoins en eau sont faibles « grâce à un système racinaire pivotant très profond » rappelle l’agronome. Enfin, s’il lui faut quand même de l’engrais, notamment beaucoup de potasse, c’est une plante qui est moins exigeante en azote et qui s’adaptera beaucoup mieux à des sols légers.
Philippe Viaux conclut que « le chanvre, sans être une culture miracle, est une culture de diversification qui a toute sa place dans la rotation des cultures ». C’est notamment « un très bon précédent à la culture du blé grâce à ses propriétés désherbantes ». Un argument de poids qui a séduit les agriculteurs lors de sa réintroduction sur le territoire.
Le développement et les avantages de la filière béton de chanvre avec Cathy Bos, experte architecture et paysage du PNRGF
« C’est en 2008 que le PNRGF, en partenariat avec la chambre régionale d’agriculture, initie une réflexion avec un groupement d’agriculteurs, sur le chanvre dans le cadre de la diversification des cultures. Rapidement des exploitants agricoles du Gâtinais s’intéressent à ces travaux, adoptent le chanvre et créent leur propre structure de transformation à Prunay-sur-Essonne (91) avec des moyens réduits. S’ensuit des recherches sur les nombreux débouchés de cette plante (huiles, graines, textile, bioplastiques, bâtiment) » rappelle Cathy Bos.
Les débuts sont prometteurs et la culture se développe. En 2021, un grand groupe d’Eure-et-Loir, Plantes et Fruits, décide de racheter la structure Gatichanvre et d’investir dans l’usine de Prunay-sur-Essonne en la modernisant et en doublant sa capacité de production pérennisant la ainsi filière.
En complément des premières études sur sa culture, « le PNRGF a soutenu le lancement d’une filière béton de chanvre (mélange de chènevotte et de chaux) locale en participant à la montée en compétence des artisans locaux et en encourageant les maîtres d’ouvrage à utiliser ce matériau prometteur ». Aujourd’hui, ce soutien passe par le financement de formations aux artisans et architectes aux règles professionnelles de la construction chanvre, par la labélisation Parc « ambassadeur de l’écorénovation » pour les entreprises mobilisées du territoire et par des subventions aux travaux pour les maitres d’ouvrages privés et publics.
Ce sont d’abord ses propriétés isolantes ainsi que sa capacité à absorber et restituer l’humidité, qui sont mises en valeur pour la rénovation des constructions antérieures à 1945. « Il est capable d’absorber jusqu’à 4 fois son poids en eau en conservant ses propriétés isolantes » continue l’experte du PNRGF. En projetant du béton de chanvre sur des murs maçonnés, à la différence des laines, l’absence de lame d’air supprime la condensation entre le mur et l’isolant. La forme maçonnée du béton de chanvre augmente également l’inertie thermique et donc le confort en été. La capacité du béton de chanvre à emmagasiner de l’eau lui confère un autre atout : il exploite avec succès le changement de phase de l’eau se transformant en véritable climatisation réversible. « En été, l’eau stockée va s’évaporer et créer ainsi du froid alors que l’hiver, le béton de chanvre va absorber la vapeur d’eau et produire des calories qui réchaufferont » explique ainsi Cathy Bos.
Des propriétés particulièrement intéressantes pour isoler des bâtiments avec des matériaux biosourcés… Mais pas uniquement ! La création de cette filière béton de chanvre permet de réduire l’impact carbone. En effet, comme le rappelle Cathy Bos, sur le territoire de la Réserve de Biosphère, « le chanvre va directement du champ au chantier et le carbone que la plante a absorbé durant sa croissance est stocké pendant toute la durée de vie du bâtiment ». Un hectare de chanvre absorberait ainsi autant qu’un hectare de foret !
Aller plus loin en expérimentant l’isolation des bâtiments récents : Pascal Magnier, adjoint au maire de Perthes-en-Gâtinais et vice-président du Parc Naturel Régional du Gâtinais Français, nous présente l’expérimentation menée sur l’école élémentaire de sa ville.
L’utilisation du béton de chanvre dans l’isolation des bâtiments anciens est aujourd’hui de mieux en mieux maîtrisée sur le territoire de la Réserve. Le PNRGF a décidé d’aller plus loin en confiant à un bureau d’études une expérimentation d’isolation thermique par l’extérieur concernant un bâtiment neuf.
C’est l’école élémentaire de Perthes-en-Gâtinais (77) qui a été choisie : tout un symbole pour un projet innovant « qui s’inscrit dans la transmission » explique Pascal Magnier. Il ajoute que le choix d’une école « a permis de lever les freins réglementaires ».
L’adjoint au maire de Perthes estime que ce sont les nombreux avantages de ce type d’isolation qui ont amené la commune à s’investir.
Le premier avantage c’est la sécurité : le béton de chanvre offre une excellente résistance au feu à la différence des matières plastiques comme le polyuréthane (comme c’était le cas pour un bâtiment de Valence dont l’incendie a causé la mort de 10 personnes le 24 février 2024).
Ce projet contribue également « au soutien et au développement de la filière chanvre » ajoute Pascal Magnier en intégrant tous les acteurs de la chaîne, « les agriculteurs, Gatichanvre ainsi que Destas et Creib, entreprises formées par le PNRGF et impliquées comme ambassadeurs ».
L’impact est écologiquement positif. « L’écosystème est préservé avec des circuits courts, une culture sans arrosage, ni produit phytosanitaire » argumente le vice-président du PNRGF. Et techniquement, « c’est un choix constructif, le béton banché limitant la pénibilité ».
Enfin, en termes de coût, l’utilisation du chanvre est dans les normes de solutions actuellement proposées. En revanche, les économies attendues seront énergétiques avec des réductions escomptées de l’ordre de 50 %. Les évaluer puis faire évoluer le cadre réglementaire constituent les étapes suivantes de cette expérimentation qui permettra de consolider une filière chanvre déjà très prometteuse sur le territoire de la Réserve de biosphère.
Pour aller plus loin :
Le cycle de vie des matériaux biosourcés : l’exemple du chanvre, une infographie de l’INRAE